#1.4 : Tu as raison vivons masqués de Pierre Thiry

Publié le par Mina

badgepierrethiryEt pour conclure ce premier mois de lecture sur On attend de vous lire !, je suis heureuse d'accueillir Pierre Thiry

Il nous propose une nouvelle sur le thème : "Je vis ma vie caché(e) deriière un masque". Bonne découverte ! (^-^)

 

  Chers lecteurs, des fautes d'orthographes sont susceptibles d'être présentes dans ce texte, merci de ne pas y accorder plus d'importance que nécessaire =)

 

 


 

 

Tu as raison vivons masqués

 

 

           La première fois qu'il l'avait vue en photo, il en avait été fasciné. Ses yeux verts pétillaient, comme animés d'un sourire permanent. Elle portait un tee shirt avec un col en V et deux boucles d'oreille en forme de E. Une manière subtile de dévoiler qu'elle s'appelait Eve. Sa jupe surmontait deux longues jambes qui ne pouvaient être que celles d'une danseuse. Elle lisait.

 

           La deuxième fois qu'il l'avait vue, c'était sur un banc de l'île Saint Louis. Les bateaux mouche passaient sur la Seine, les nuages filaient dans le ciel, mais il n'avait fait attention qu'au son de sa voix. Elle était douce et chaleureuse, sa diction était rythmée comme un quatuor de Mozart. Auprès d'elle, il se sentait rassuré. Que cachait-elle derrière ce charme insurpassable ?

 

           Il fallait absolument qu'il la revoie. Alors il avait décidé de lui envoyer un courriel.

 

           Cela faisait la dixième fois qu'il réécrivait son texte dans la fenêtre « Nouveau Message ». Il en avait effacé neuf autres auparavant. Tous disaient à peu près la même chose. Tous étaient cependant un peu différents les uns des autres. Tous racontaient à peu près la même histoire. A chaque fois en relisant ce qu'il avait écrit, il finissait par appuyer sur les touches « pomme » et « A » correspondant au menu « tout sélectionner » et d'un coup bref sur la touche droite du haut, il effaçait tout. Pour la dixième fois il recommençait son courriel, décrivant à nouveau la même scène :

 

« Toutes les mers veillent. Jour et nuit, bercés par la houle, ils viennent, sur leurs gondoles, sous leurs masques vénitiens. Jour et nuit, ils veillent, pailletés sous leurs masques de carnaval, éclatant de couleurs. Ils voguent, accompagnés d'énormes contrebasses. Ils rament, résolument, lourdement. Ils naviguent à la lueur de la lune, la nuit ; sous les éclats du soleil, le jour. Par les nuits sans lune, ils continuent d'avancer, fêtards permanents d'un carnaval qui ne s'arrête jamais.

 

Il y a toujours sur un océan, quelque part, une troupe de saltimbanques chamarrés qui rythment les vagues de leurs lourdes rames, sonores. Il y a toujours quelque part une troupe de tambourineurs qui frappent les vagues de l'océan pour les faire venir vers la rive, pour amener la brise du dehors jusqu'aux embrasures de tes fenêtres où les rideaux flottent comme des voiles... »

 

Il se relut. Ses yeux le piquaient. Ils étaient irrités. Il se les frotta. Cela n'arrangea rien. Pour la dixième fois il s'arrêtait en grinçant des dents. Pour la dixième fois, il avait écrit « de tes fenêtres »...

 

Pouvait-il lui envoyer ce message tel quel ? Qu'allait-elle y comprendre ?

 

Il effaça le « t », le « e ». Il remplaça le « t » par « v » ; le « e » par un « o »... Il relut :

 

« Toutes les mers veillent. Jour et nuit, bercés par la houle, ils viennent, sur leurs gondoles, sous leurs masques vénitiens. Jour et nuit, ils veillent, pailletés sous leurs masques de carnaval, éclatant de couleurs. Ils voguent, accompagnés d'énormes contrebasses. Ils rament, résolument, lourdement. Ils naviguent à la lueur de la lune, la nuit ; sous les éclats du soleil, le jour. Par les nuits sans lune, ils continuent d'avancer, fêtards permanents d'un carnaval qui ne s'arrête jamais.

 

Il y a toujours sur un océan, quelque part, une troupe de saltimbanques chamarrés qui rythment les vagues de leurs lourdes rames, sonores. Il y a toujours quelque part une troupe de tambourineurs qui frappent les vagues de l'océan pour les faire venir vers la rive, pour amener la brise du dehors jusqu'aux embrasures de vos fenêtres où les rideaux flottent comme des voiles... »

 

Cela n'allait pas non plus. Allait-elle comprendre de quelles fenêtres il parlait ? Son écran d'ordinateur en était rempli, de fenêtres ; son écran à elle, devait aussi en être plein...

 

« C'est trop vague, non ça ne va pas... » Se dit-il. Alors, il empoigna à nouveau la souris. De la petite flèche, il caressa délicatement le « v ». Cela lui évoquait le tee shirt qu'elle portait sur la photo. Non, se dit-il, c'est trop indiscret de laisser ce « v ». Mieux vaut rester masqué. Alors d'un geste nerveux, il appuya sur la souris, noirci le « v » l’effaça et le remplaça par un « n ». Il relut :

 

« Toutes les mers veillent. Jour et nuit, bercés par la houle, ils viennent, sur leurs gondoles, sous leurs masques vénitiens. Jour et nuit, ils veillent, pailletés sous leurs masques de carnaval, éclatant de couleurs. Ils voguent, accompagnés d'énormes contrebasses. Ils rament, résolument, lourdement. Ils naviguent à la lueur de la lune, la nuit ; sous les éclats du soleil, le jour. Par les nuits sans lune, ils continuent d'avancer, fêtards permanents d'un carnaval qui ne s'arrête jamais.

 

Il y a toujours sur un océan, quelque part, une troupe de saltimbanques chamarrés qui rythment les vagues de leurs lourdes rames, sonores. Il y a toujours quelque part une troupe de tambourineurs qui frappent les vagues de l'océan pour les faire venir vers la rive, pour amener la brise du dehors jusqu'aux embrasures de nos fenêtres où les rideaux flottent comme des voiles... »

 

 

 

Cela n'allait pas non plus. Allait-elle comprendre de quelles fenêtres il parlait ? Ils n'habitaient pas au même endroit. Ils n'étaient même pas dans la même ville, elle habitait au sud est, il habitait au nord ouest. Son appartement à elle, devait être tourné vers le nord, son appartement à lui était tourné vers le sud... Or, la maison qu'il imaginait comme étant la leur aurait certainement une façade dirigée vers la mer, en direction de l'ouest...

 

Et puis il en était de plus en plus sûr, elle risquait de ne pas comprendre. Aujourd'hui le mot « fenêtre » a tellement changé de sens...

 

Obsessionnellement, il en revenait à la même idée. L'écran de son ordinateur, scintillait de fenêtres ; son écran à elle aussi devait en être rempli à commencer par celle de son navigateur...

 

« Navigateur ». Ce mot le stupéfia. Il en resta interdit. Il était tombé comme un pavé dans l'ouragan des mots qui tourbillonnaient dans son esprit. Elle habitait dans un port. Il devait y avoir un  navigateur au long cours dans sa vie. Il en était sûr à présent : elle vivait avec un officier de marine.

 

Dans ces conditions, elle ne risquait guère de faire attention à son courriel.

 

Alors pour la dixième fois, il effaça totalement son message.

 

Il éteignit son ordinateur, son ronronnement s'interrompit. Un autre le remplaça, celui de son chat : Charles Hockolmess. Curieusement, il portait un masque vénitien. Décidément, cet animal l'étonnerait toujours. Où avait-il été le dénicher ? Il admirait son sens de la débrouillardise. Alors il lui dit :

 

           — Tu as raison mon vieux, mieux vaut rester masqué »

 

           Sans rien répondre, le chat s'étira paresseusement, et s'empara de la télécommande de la télévision et l'alluma.

 

           Sur l'écran apparu une gondole vénitienne. Elle était peuplée de chanteurs aux costumes chamarrés. Ils chantaient, accompagnés de deux contrebassistes :

 

Ramer, ramer contre les vents contraires

Ramer, ramer, envers et contre tout

Tramer, tramer, conter l'Eve en longs vers

Flâner, flâner quand l'air est âpre et doux...

 

           Eve était au milieu d'eux. Ses yeux verts pétillaient sous un masque vénitien. Il ne voyait qu'elle et pourtant elle était entourée. A sa droite un petit homme aux cheveux roux arborait un sourire narquois. Sur son visage (à moitié masqué) flottait quelque chose de mystérieux, d'enigmatique. Il portait un chapeau un peu bizarre : un haut de forme dont la couleur changeait perpétuellement, un « chapeau caméléon ». A sa gauche, un solide gaillard revêtu d'une combinaison de fourrure qui le faisait ressembler à un gorille portait un masque de crocodile. Deux colombines agitaient des castagnettes, trois arlequins frappaient des tambourins, les deux contrebassistes tiraient sur leurs cordes. Ils étaient également masqués.

 

           C'était la fin de la fameuse émission de Gus L'Hâve aux mots verts : « Le masque et le clavier ». L'image et le son s'estompèrent pour laisser place au générique. Tandis qu'au clavecin s'égrenait le premier prélude du « Clavier bien tempéré » de Jean-Sébastien Bach, la devise habituelle défilait sur l'écran :

 

           « Le monde n'est qu'un clavecin pour le véritable artiste, à lui d'en tirer les sons qui ravissent ou qui glacent d'effroi... » (Gustave Flaubert, Correspondance 23 février 1842).

 

           Alors Charles Hockolmess ôta son masque et le tendit à Casanova en lui tenant un discours qui lui parut étonnamment familier :

 

« Toutes les mers veillent. Jour et nuit, bercés par la houle, ils viennent, sur leurs gondoles, sous leurs masques vénitiens. Jour et nuit, ils veillent, pailletés sous leurs masques de carnaval, éclatant de couleurs. Ils voguent, accompagnés d'énormes contrebasses. Ils rament, résolument, lourdement. Ils naviguent à la lueur de la lune, la nuit ; sous les éclats du soleil, le jour. Par les nuits sans lune, ils continuent d'avancer, fêtards permanents d'un carnaval qui ne s'arrête jamais.

 

Il y a toujours sur un océan, quelque part, une troupe de saltimbanques chamarrés qui rythment les vagues de leurs lourdes rames, sonores. Il y a toujours quelque part une troupe de tambourineurs qui frappent les vagues de l'océan pour les faire venir vers la rive, pour amener la brise du dehors jusqu'aux embrasures de leurs fenêtres où les rideaux flottent comme des voiles... »


 

 


 

 

Voici donc la première nouvelle, à partir d'aujourd'hui et ce jusqu'au dimanche 13 mai, vous allez pouvoir voter.
Petit rappel, un vote est un petit commentaire avec une note de 0 à 5, argumentée (^-^)


Cette dernière précision est de plus importante car une note seule n'a que peu d'intérêt et n'est pas très représentative. Je vous la demande seulement pour un petit bilan à la fin du mois mais je pense que ce qu'attendent vraiment les auteurs, c'est un petit avis. Merci  

 


 

Les votes pour ce texte sont clos ! (^-^)
Merci infiniment pour vos participations ; le bilan est en ligne et une surprise vous attend !

 

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S
Bonjour, alors voilà, malgré que je me suis forcée à lire jusqu'au bout, je suis perdue et mon sentiment est mitigée par cette nouvelle. Côté négatif, moi aussi j'ai trouvée très lourd la<br /> répétition de son mail pour ne changé au final, qu'une lettre ou deux, et j'avoue ne pas avoir compris les liens des fenêtre et autres, mais bon, faut dire aussi que je suis québécoise et la<br /> littérature française, et je dois avouée à ma grande honte ne pas connaître beaucoup Hamlett et autre classique de ce genre. Par contre, la nouvelle écrite de façon poétique, j'aime bien et<br /> j'aurais bien aimée qu'elle soit plus longue afin d'en savoir plus, et moi aussi j'ai bien aimée les boucles d'oreilles et le col en V pour faire un clin d'oeil à son prénom, c'était bien penser.<br /> Alors ma note est de 3/5 car malgré mon ignorance, j'aime beaucoup cette nouvelle poétique.
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M
<br /> <br /> Ta note arrive trop tard pour être prise en compte mis merci de ton commentaire Sonia (^-^)<br /> <br /> <br /> <br />
E
Bonjour,<br /> <br /> d'abord bravo pour cette excellente initiative que je découvre avec beaucoup de plaisir, de même que la nouvelle de Pierre Thiry dont j'attendais avec hâte les prochains écrits après avoir<br /> découvert les précédents.<br /> <br /> Aussi est-ce avec plaisir que je découvre ce texte très différent et où cependant l’on retrouve le style, oserais-je dire la patte, les clins d’oeil, la culture, la minutie, l’amour et l'humour des<br /> jeux de lettre et des jeux de mot, le tout, nouvelle oblige, plus concentré que jamais.<br /> <br /> La progression comme la chute sont bien menées, le talent du conteur et les références aux nouvelles technologies ajoutent une autre dimension à cette nouvelle tout en s'inscrivant dans une<br /> tradition fantastique. C'est imagé, léger, coloré.<br /> <br /> Pour moi ce sera un 4/5
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M
<br /> <br /> Merci de ton vote Eric Darsan (^-^) et merci pour le compliment, j'en suis très touchée<br /> <br /> <br /> <br />
O
5/5 !!! J'ai reçu ce petit conte cinq sur cinq, et je lui donne la note qui va : 5/5 donc. Bonne idée que cette digression sur le masque, pour un petit conte publié sur un site internet.<br /> La répétition du même passage qui revient périodiquement ne m'a pas gêné, bien au contraire. Il y a une certaine audace à l'avoir fait, et j'admire, car je n'aurais pas osé m'y risquer. Il faut un<br /> certain toupet et de l'assurance pour s'y risquer : j'y ai vu comme une allusion musicale à ces répétitions de thèmes si souvent présents dans l'opéra. Le style de cette nouvelle me fait penser à<br /> l'opéra : ces gondoles mystérieuses naviguant sur l'océan, les allusions à Bach, à Mozart. Ces gondoles m'ont fait penser à Don Giovanni (au film de Joseph Losey).<br /> La ré apparition d'Eve à la fin (derrière l'écran, dans l'émission de télévision intitulée «Le Masque et le Clavier» sans doute en référence au «Masque et la Plume» de France Inter m'a beaucoup<br /> amusé.<br /> Il y a de nombreux clins d'oeil, et beaucoup d'humour dans ce petit conte qui soulève mon enthousiasme parce-qu'il m'a bien fait rire.<br /> Et je crois y avoir découvert de subtiles allusions de Pierre Thiry à ses livres «Isidore Tiperanole et les trois lapins...» et «Ramsès au pays des points-virgules. Il m'a semblé reconnaître des<br /> personnages déguisés en Ramsès et en Isidore Tiperanole dans la gondole où apparaît Eve. Est-ce que je me trompe ? Bravo pour l'originalité et le talent que j'ai découvert dans cette nouvelle qui<br /> est presque un poème.
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M
<br /> <br /> Merci de ton vote Octave (^-^)<br /> <br /> <br /> <br />
R
Bonjour!<br /> Alors, commençons par ce qui est le plus impardonnable: pourquoi la touche pomme?! Au bûcher les Apple-addict! (pour les plus sérieux: HUMOUR) Les gens normaux utilisent un PC avec Linux comme<br /> OS...<br /> Bref! Après ma remarque uniquement destinée à montrer mon anté-amour pour Apple et à alimenter la discorde PC/Mac, je vais faire des critiques un peu plus constructives ^^<br /> J'ai été perplexe lorsque je me suis rendu compte que ta nouvelle ne raconte que l'écriture du mail... (rendue un peu lourde par les répétitions. J'avoue qu'à la deuxième fois, je n'ai plus lu que<br /> la dernière phrase... Honte à moi) D'un autre côté, je me modère un peu en me disant que ce genre de narration un peu décalée, comme l'ont dit certains, n'est pas du tout mon genre, alors cette<br /> partie de ma critique est à prendre avec précautions.<br /> La manière de traiter le sujet, plus ou moins basée sur "Pour vivre heureux vivons cachés" si j'ai bien compris puisque l'amoureux transi préfère finalement dissimuler son "identité", est<br /> intéressante mais je suis un peu restée sur ma faim... A nouveau à cause de la narration. La nouvelle mériterait d'être un peu plus longue, pour un développement qui apporterait beaucoup, je pense.<br /> Je n'ai pour ma part, pas eu assez de détails sur aucun des personnages pour pouvoir vraiment rentrer dans la nouvelle (d'autant plus qu'elle est courte...)<br /> Pour terminer, je ne vais pas faire dans l'originalité mais j'admets avoir beaucoup aimé ta plume, malgré quelques longueurs dans certaines phrases ;)<br /> Ma note sera donc 3/5
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M
<br /> <br /> Merci de ton vote Rachel (^-^)<br /> <br /> <br /> <br />
P
bonjour, à vrai dire, je ne trouve aucun sens, et memeaucun plaisir à lire ce texte...un texte a trois signification:celle de l'auteur, celle ressentie par le lecteur et enfin celle des mots en eux<br /> memes....aucune des significations ou valeurs ne se trouvent ici.<br /> je ne vois qu'une seule note, 1/5.<br /> bonne journée
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M
<br /> <br /> Merci de ton vote Phantom (^-^)<br /> <br /> <br /> <br />